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Monsieur le Sinistre de l’Éducation nationale…

Je suis un vieil instituteur devenu il y a peu (trois ans) rééducateur de l’Éducation nationale ou, dit autrement, un maître G. Je travaille au sein d’un Rased (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) avec une psychologue scolaire et deux maîtres E. Notre territoire d’intervention compte 2 000 élèves environ et, par ma foi, nous effectuons les tâches qui, depuis une circulaire de 2002, sont assignées aux Rased. […] Les demandes qui nous sont adressées par les quelque 70 maîtres et maîtresses des 12 écoles de notre secteur à propos des élèves en difficulté sont évaluées dans un délai raisonnable (une quinzaine de jours) et ensuite, s’il y a lieu, ces élèves sont pris en charge par l’un d’entre nous. […] Mais nous, les personnels des Rased, sommes peu visibles et nous nous adressons à un nombre restreint d’élèves en grande difficulté. C’est probablement à cause de cette moindre visibilité que vous avez choisi de nous faire disparaître. En effet, sur les quelque 9 000 postes de maîtres E et G, vous avez dans un premier temps décidé d’en fermer 3 000, soit un tiers, les deux autres étant eux-mêmes appelés à disparaître dans les deux ans à venir. Mais nous nous sommes battus. […]

Vous avez donc transformé les 1 500 suppressions auxquelles vous aviez dû renoncer, apparemment, en 1 500 « sédentarisations », c’est-à-dire disparaissant en tant que postes de réseau. Je fais partie de ces 1 500 « sédentarisés ». Je préfère pour ma part « suicidentarisé », peut-être plus brutal mais plus juste.

J’ai donc reçu, comme d’autres, une lettre de l’Inspecteur d’académie m’expliquant doctement que, afin de « mettre [mes] compétences professionnelles au service [du] traitement de la difficulté scolaire pour contribuer à la réussite de tous les élèves », j’étais invité à demander à n’être affecté que dans l’une des douze écoles dans lesquelles je travaillais auparavant. Et cela au nom de « l’analyse du fonctionnement du réseau conduite par [mon] IEN [Inspecteur de l’Éducation nationale, le supérieur hiérarchique direct des instituteurs] ».

En voilà une idée qu’elle est bonne ! Je la connais, cette école, j’y travaille déjà. Avec deux élèves parmi la trentaine que je suis dans l’ensemble du secteur du Rased. L’année prochaine, les 28 autres n’auront qu’à bien se tenir et à se débrouiller par eux-mêmes. Leurs instits aussi. […] Dans sa munificence, l’inspecteur d’académie auteur de la lettre précédemment citée me fait savoir que compte tenu de la fermeture de « mon » poste, je bénéficie d’une majoration de barème de 600 points. Ce qui est énorme, le barème ordinaire d’un instit ordinaire se situant entre 10 et 60 selon son ancienneté et sa note pédagogique. Mais là où c’est encore mieux, c’est que c’est un poste que je suis le seul à pouvoir occuper. Si je ne le demande pas, personne ne l’aura. Vous mesurez là la valeur, l’authenticité qu’il faut attribuer au morceau de phrase cité plus haut à propos de la nécessité de contribuer à la réussite de tous les élèves. Vous comprenez maintenant combien j’ai été flatté de cette superbe bonification de « mon » barème ! Et si je le demande et l’obtiens, puisque je suis le seul à pouvoir l’occuper, que vais-je faire ? Je vais peut-être continuer à travailler avec les deux élèves que je suivais déjà. Voire avec trois ou quatre autres. Mais très certainement accepter, à mon corps défendant, de remplacer tel ou tel de mes collègues absents, compte tenu de la disparition déjà effective de nombre de titulaires remplaçants. […]

Quand, par exemple, deux des six enseignants seront absents et qu’aucun remplaçant ne sera disponible, je resterai avec « mes » deux ou trois élèves, voire un seul, ou avec « mes » petits groupes de remédiation ? Bien sûr que non. Ce n’est pas auprès d’élèves en difficulté que je vais travailler mais auprès d’une école – ou École – en difficulté, en très grande difficulté. Et vous n’êtes pas pour rien dans cet état de fait. Bref, de maître spécialisé dans la grande difficulté scolaire, pour laquelle « le pédagogique, c’est pas automatique », vous m’aurez transformé en supplétif. […] Ce poste de « supplétif » disparaîtra avec moi, dans le meilleur des cas. Dans le pire, il n’aura vécu qu’un an puisque c’est ainsi qu’il est « budgété », dit-on dans notre inestimable jargon administratif. Bref, si vous pouvez vous prévaloir de ma non-disparition totale cette année, j’en meurs néanmoins, professionnellement parlant, et avec moi une partie de l’aide aux élèves en difficulté de « mon » réseau. Ils n’auront qu’à aller voir ailleurs, dans le privé par exemple. Pour ceux qui le peuvent. Pour un mauvais coup, c’est un coup de maître.

Jean-Marie Blanc, Nîmes

P.-S. : Le mouvement – les changements d’affectation – vient d’avoir lieu. J’avais demandé et viens d’obtenir un poste qui n’est pas celui que la « suicidentarisation » me promettait. Constatant, à mon grand dam, que je ne pourrai pas « contribuer à la réussite de tous les élèves » je m’en vais. Quand bien même, par ce choix-là, je vous offre une suppression de poste supplémentaire  : 3 001 au lieu de 3 000. J’espère que vous m’en saure

gré !

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