Brice Hortefeux, le ministre de l'intérieur me demande de lui adresser, le 15 septembre, un bilan des actions de terrain engagées dans la commune de Grande-Synthe, dont je suis le maire, pour prévenir la délinquance, notamment des mineurs. Toutes les communes où la loi a rendu obligatoire la création d'un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance sont concernées, soit les villes de plus de 10 000 habitants et celles présentant "des caractéristiques de délinquance".

Au risque de décevoir le ministre de l'intérieur, je ne vais pas remplir le tableau d'analyse qu'il m'a envoyé. Mais je tiens, en revanche, à lui expliquer pourquoi j'ai pris cette décision. Jamais il ne me viendrait à l'esprit de nier que la sécurité est une priorité. Mais jamais non plus il ne m'était venu à l'esprit que la politique de sécurité repose sur les seules épaules des maires. Jusqu'à il y a peu, je pensais même naïvement que la sécurité relevait d'abord d'une compétence régalienne, à laquelle, en tant que premier magistrat, j'avais pris l'habitude de m'associer et de collaborer, dans le but de procurer à mes administrés la quiétude et la qualité de vie à laquelle ils ont droit.

La lecture du questionnaire de M. Hortefeux me montre que je me suis trompé : selon le ministre, je suis bel et bien l'unique responsable de la situation de ma commune en matière de sécurité. Alors, il me faut agir, vite.

Afin de remplir au mieux cette nouvelle fonction, j'exige dès à présent une augmentation conséquente des effectifs de police nationale que la ville réclame depuis trente ans. Sur le terrain, il manque de nombreux agents pour faire respecter la loi. Depuis 2007, les effectifs du commissariat central de Dunkerque, et par ricochet, ceux du commissariat de secteur de Grande-Synthe, se sont érodés : quarante policiers en moins !

INDIGNATION ET STUPEUR

Je réclame aussi l'arrestation sans délai du délinquant le plus connu de l'agglomération dunkerquoise : le PDG de la multinationale milliardaire Total, Christophe de Margerie. La manière dont cet homme a arbitrairement décidé de procéder à la fermeture de la raffinerie des Flandres puis son refus délibéré de céder aux injonctions du tribunal lui intimant de redémarrer le site me semblent être la priorité sécuritaire du moment.

Il serait sans doute intéressant de signaler ce fait au ministre de l'industrie, Christian Estrosi, qui semble (étrangement ?) plus préoccupé par des affaires de caméras lilloises que par les emplois que la France est en train de perdre, à Dunkerque et ailleurs, faute d'une vision d'avenir et d'une politique d'innovation digne de ce nom dans le domaine industriel.

J'imagine déjà sa réponse : "Le chômage vient d'atteindre les 24 % à Grande-Synthe ? Installons d'urgence des caméras de surveillance !" L'humour est de rigueur dans les situations désespérées. Comme il s'en est ouvert au Figaro suite aux événements survenus à Grenoble, le ministre de l'intérieur souhaite comprendre "où en sont certains élus sur la responsabilisation des parents et la suspension des allocations familiales..."

Dans son questionnaire, il me demande ainsi de fournir des exemples de l'usage fait des informations que j'ai recueillies en matière d'absentéisme scolaire et sur la situation des familles en difficultés. M. Hortefeux va être déçu : je ne vais pas lui fournir d'exemples non plus. L'indignation et la stupeur m'en empêchent.

Mes valeurs, mes convictions, ce que je crois être juste au plus profond de moi, sont heurtées par l'association, que le ministre présente comme naturelle, entre pauvreté et délinquance. Quelque 70 % de mes administrés ne payent pas d'impôts faute de ressources suffisantes, avec parmi eux, une part importante de jeunes diplômés ne trouvant pas d'emploi. Il s'agit d'hommes et de femmes d'honneur, auxquels le travail ne fait pas peur, et qui sont à mille lieues de la délinquance qu'évoque M. Hortefeux. Pour eux, pour moi, pour tous les Français que par cet amalgame il offense, je ne répondrai donc pas à son questionnaire.

Les maires ont beaucoup de devoirs, mais il leur reste quelques droits, et notamment celui de pouvoir dire haut et fort ce qu'ils pensent. Adopter la rhétorique du Front national, diviser les Français pour régner, ne nous aidera en rien à résoudre le problème de la sécurité, ni à construire le projet de société qui nous manque cruellement pour nous projeter sereinement dans l'avenir.

 

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